"Il y a encore une géographie de traverse pour peu qu'on lise les cartes, que l'on accepte le détour et force le passage."

(Citation de Sylvain Tesson, "Sur les chemins noirs").

Cette géographie oubliée, je l'avais en tête depuis longtemps. J'ai décidé de m'y perdre, le long de la Meuse, deuxième plus vieux fleuve au monde. Elle aurait entre 320 et 340 Ma. Elle franchit le massif ardennais qui s'est formé par la collision entre deux supercontinents à l'origine de la Pangée. Elle est donc antérieure au soulèvement de ce vieux massif.

 


Premier pont sur la Meuse, à Pouilly en Bassigny.

 

Depuis le temps que je randonne avec ma tente et ma gamelle, je me suis rendu compte que le paysage compte moins que cette impression de liberté totale qu'on peut ressentir avec ce genre de randonnée en solitaire. C'est donc sur les fameuses cartes au 25 000 ème que j'ai tracé mon itinéraire. Pistes forestières, chemins agricoles, lisières, sentiers oubliés et abandonnés, pâtures dont il faut escalader les barbelés et éviter les troupeaux de génisses un peu fofolles... et un peu de macadam quand même m'ont conduits des sources de la Meuse (Pouilly en Bassigny) jusque Charleville Mézières, ville où naquit Rimbaud et de qui je cite ce poème :

J'ai embrassé l'aube d'été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombre ne quittaient pas la route
du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes
se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà rempli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors je levais un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq.
A la ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre,
je la chassais.

En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassées, et j'ai senti un peu
son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.



"Sentiers oubliés.
Le silence y régnait, on n'y croisait personne
et parfois la brousaille se refermait aussitôt après le passage".

350 km en 12 jours de marche sur les chemins de cette France, autrefois piétonne et paysanne. A ce paysan rencontré à Greux qui, d'un air ébahi, me demandait "mais pourquoi vous faites ça ? Vous n'avez pas de voiture ? ", que pouvais-je répondre... Si ce n'est que, pendant quelques jours, j'avais envie de retrouver cette ancienne cohorte de piétons qui ont emprunté ces "chemins noirs" et suivre leurs traces. Mes pas dans les leurs et reprendre la marche là où ils l'avaient quittée, il y a quelques décennies seulement.

 

 

 

 

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