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Le sentier européen E4 :

traversée de la Crète


Dimanche, 4 mai. Aggia Anna à Panagia Vriomeni

Dénivelé positif : 750m

Dénivelé négatif : 765m

Durée : 7h

Ce matin, les gorges de Ha se chargent d’un ciel lourd et gris. La lumière elle-même est grise et estompe les reliefs et les couleurs. Descente par un petit sentier escarpé vers le hameau de Monastiraki. En fait de village abandonné, c’est un village en pleine restauration financé par le programme européen Leader. Le seul bruit qu’on entendra c’est celui du robinet qui remplira nos bouteilles.

 


La spectaculaire entaille des gorges de Ha

 

On continue la descente vers le fond de la vallée pour y traverser une grande route toute droite où circulent, à grande vitesse, des bolides énigmatiques. Impressionnante image tirée d’un mauvais film de science fiction. Seulement quatre jours de marche et on semble déjà déconnecté de la réalité. La rencontre avec ce ruban d’asphalte nous fait froid dans le dos.

On prend la route qui monte vers Vasiliki. Au passage, on s’écarte un peu pour aller voir des ruines minéoniennes. On se glisse sous le grillage et les premières gouttes orageuses nous obligent à nous abriter un moment et à sortir les protège-sacs. Vasiliki est désert, le café fermé. Et pourtant, la place est accueillante mais le haut du village tombe en ruine. Un vieux crétois nous salue depuis le pas de sa porte et nous indique la direction à suivre.
On n’est qu’à quelques kilomètres de la mer, des plages, de l’affluence touristique et pourtant c’est « l’autre Crète ». La Crète rurale, des champs d’oliviers, des moutons et des vignes. Des maisons abandonnées parsèment les villages. Des tas de pierres et d’enchevêtrements de poutres se dressent vers le ciel. Une gangrène contagieuse semble s’étendre le long des ruelles. Jusqu’où ira-t-elle ?

 

 

La piste serpente ensuite au milieu d’un paysage désolé et aride. On se posera quelques instants à l’ombre de la chapelle Aggia Georgios, en compagnie d’un jeune chien. Une eau bien fraîche s’écoule avec bonheur d’un tuyau.

 

 

Franchissement d’un petit col et descente sur le monastère de Panagia Vriomeni où on pose les sacs vers 14h. Le monastère, bien restauré, est malheureusement fermé mais son enceinte extérieure nous met à l’abri des moutons et des chèvres. Une bergère en pick-up nous montre où se trouve l’arrivée d’eau. On s’installe sous l’entrée couverte et la tente est montée dans le parc. On finira par arriver à pénétrer dans la cour intérieure du monastère : un petit paradis avec citronniers, évier et robinet, tables et bancs… On a vite fait d’occuper les lieux, ne serait-ce que pour se payer le luxe d’une petite toilette.

 


Monastère de Panagia Vriomeni


En fin d’après midi, alors que la polenta frémit dans la casserole, plusieurs personnes arrivent et sont un peu surprises de nous trouver ici… Mais elles n’ont pas l’air très offusquées et nous demandent juste de bien refermer la porte en partant.

Il pleuvra un peu pendant la nuit.

 

Lundi, 5 mai. De Panagia Vriomeni à Selakano

Dénivelé positif : 1195m

Dénivelé négatif : 870m

Durée : 10h

Pluie et brouillard pratiquement toute la journée.
Descente tranquille jusque Prina en suivant une piste. Nous ne rentrerons pas dans le village. Juste avant, une taberna nous tend les bras. Il est encore tôt mais le patron et la serveuse nous servent un petit déjeuner avec un miel divin.

La pluie commence à tomber, pas très forte mais suffisamment pour qu’on sorte les protège-sacs et les vestes.

Route d’abord puis une piste monte lentement au milieu d’un paysage qui semble devenir de plus en plus alpin. Mais il n’y a pas grand-chose à voir. Le brouillard est souvent très dense. Et l’environnement déjà habituellement silencieux l’est encore d’avantage.

 


On marche comme dans une bulle de lumière qui se déplace en même temps que nous et qui dévoile quelques mètres de lapiaz, de forêts, de ruches, de falaises ou d’arbres fantomatiques. On en est réduit à interpréter et fantasmer sur ce qu’on ne voit pas ou à peine. Les nappes de brouillard tombent quelquefois en bruine ou s’écartèlent sous l’effet d’une légère brise. Alors, le temps de quelques instants, une crête s’éclaire, une oliveraie moutonne en contrebas de la piste, une épaule herbeuse se hausse au-dessus de nous.

 

 

Le temps passe vite ainsi et le soleil reviendra presque sans qu’on s’en rende compte. On ne laissera pas passer le départ du sentier qui quitte la piste pour nous faire descendre dans le vallon au pied du Koureli. Heureusement que le ruisseau qui y coule est un bon fil conducteur parce qu’on va perdre rapidement les balises. Je ne suis même pas sûr qu’elles existent… et on ne récupèrera qu’une vague sente un peu avant de rejoindre la piste.

 


Les pauvres "chiens tonneaux", misérables et appeurés,
attachés en pleine montagne
dans l'attente d'un destin de servitude.

 

Arrivée à Selekano où on rencontre un couple d’autrichiens qui attend l’ouverture du kafenion qui fait aussi, parait-il, dépôt d’épicerie. En attendant, on monte un peu en suivant le E4 pour trouver un emplacement où monter la tente. On déniche la perle rare, un vaste complexe, du genre hôtel de montagne abandonné ou pas encore ouvert pour la saison. Terrasse pour la tente, table pour nos affaires, tout ce qu’il faut ! Le tourisme de rando n’a pas l’air de rameuter les foules… Les gens ont l’air de préférer la plage.

Le kafenion est tenu par une petite dame crétoise, toute de noir vêtue. Son café est une toute petite pièce attenante à sa cuisine. La terrasse est bien plus grande mais ce n’est pas vraiment le jour pour s’y attabler. En guise de dépôt d’épicerie, elle nous propose une omelette accompagnée d’une salade grecque. Le tout arrosé d’un cruchon de vin et de raki. La remontée à la tente sera un peu dur…

 

 

Demain, on doit franchir le massif du Dikti. Mais dans le brouillard tout cela semble un peu problématique…