Lundi 27 juillet 18h15 – 740 m –camp 4
Quel camp ! C’est le nec depuis le début : une terrasse de sols polygonaux traversée par un petit ruisseau et, dans notre dos, une moraine charriée par un glacier venu mourir à nos pieds. Devant nous, le « 1199 » étalant, sur près de 180°, ses croupes glaciaires. A son sommet, notre cairn visible aux jumelles.
Sur la gauche, la vallée que nous avons conquis pas à pas depuis trois jours… la Vallée…
... celle qui ressemble à beaucoup d’autres vallées mais qui, chacune, reste unique dans ce sentiment de se l’approprier : j’y pénètre, donc elle est à moi, le temps que je vais y rester uniquement et je ne dois pas laisser la moindre trace de mon passage. Scénario répété de nombreuses fois au Groenland, souvent le même : ces vallées à échelle inhumaine se défendent toujours en aval par un canyon impossible qu’on est obligé de contourner en suant et poussant des épaules en avant. Ensuite, ce débouché princier sur un nouveau monde et, c’est à ce moment, que ça prend forme. Pas de chemins, pas de sentiers, aucune trace sauf celle de nos pas imprimés, le temps de quelques jours, dans des mousses profondes. Et chaque poussée en avant, c’est un monde de plus et encore et encore et ce soir on est quasi au col… à nos pieds, la vallée qu’on a ouverte, qu’on connaît, qui est à nous le temps du regard et qui gardera bien moins de traces de nous qu’elle en sillonnera nos rêves. Car c’est la règle par ici : une fois passé, le livre se referme et aucune trace ne doit subsister. Ciel étrange, ce soir. Festival photo vers 22h10 : une lumière superbe sur le « 1199 », au premier plan, les tentes éclairées par un dernier rayon.
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Mardi 28 juillet 18h45 – camp 4
Belle course de 7h pour un dôme de neige (1400m) qui s’est mis dans le brouillard juste comme on arrivait au sommet !
Rapide casse-croûte et descente sur un petit col pour l’édification du cairn habituel. Le vent tombe, le brouillard nous cache presque tout et on se tape une petite sieste d’une demi-heure au pied du cairn. Redescente par le même chemin et thé/pain d’épices pour le reste de l’après-midi. Bernard coud, Yannick cherche des cailloux, j’en ai ramené un beau trouvé sur la moraine mais il est un peu lourd pour le ramener …
Mercredi 29 juillet 15h45 – camp 4
Le camp est au repos ! Matinée perso : Bernard sur une face nord en solo, Marc en solo pour la grasse matinée, Yannick et moi au-delà du col sur un promontoire/belvédère qui domine la Rapadalen et son glacier rouge.
Tout le monde est rentré… chaudement vêtu, chacun vaque à ses occupations : de cassage de cailloux à la réparation d’un bâton de marche en passant par la lecture. Interruption thé/pain d’épices aux fruits. Et c’est de nouveau chacun pour soi. On est tous dans un rayon de quelques mètres, personne ne parle, on suit, quelquefois, le déplacement de l’un d’entre nous juste par curiosité. Le regard indolent des bovins ! Les yeux vont se perdre dans des lignes d’horizon ou s’immobiliser sur des détails lointains ou proches. Les oreilles hésitent entre le glouglou du petit ruisseau, le grondement du torrent au loin, le bruit du vent… Quelquefois vient s’imposer le vrombissement de quelques moustiques téméraires ou le tintement du pare-vent MSR qui cogne sur un rocher ou le raclement d’une semelle sur le sol caillouteux.
Et le temps passe si lentement qu’on aurait presque tendance à l’oublier. Ca y est ! Je viens de le voir passer sous la forme d’un petit nuage blanc qui vient de me cacher quelques instants le soleil en me forçant à remonter la fermeture éclair de ma polaire jusque sous mon menton.
Le temps s’est remis au beau. Ce matin encore noir et menaçant et à présent bleu quasi général. Le 1199 est toujours face à nous et se joue des lumières et des reflets, des ombres et des éclats. Et son œil de chat qui nous fixe depuis deux jours (à voir sur les photos…), bienveillant ou menaçant suivant les éclairages… présentement, malicieusement amical, reconnaissant en nous ceux qui, il y a quelques jours, sont venus planter un cairn à son sommet et dont les traces de pas sont encore visibles. Pour un peu, il esquisserait même comme un sourire…
Quelle journée ! Et nous, toujours plantés sur notre replat entre ciel et terre. Le regard peut plonger direct sur la Vallée pour l’embrasser dans sa totalité, jusqu’au col amont de ce matin, la limite de notre monde. Au-delà, c’est le minéral entrevu, il faut être fort pour y vivre sans doute !
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