Jeudi 6 août 22h – Camp 8 – 30m
Impossible de la traverser cette foutue rivière : trop grosse pour nous et en plus il n’arrête pas de pleuvoir ! Changement de cap : direction Kangerluk… le village dont je parlais au début… on va finir par s’y arrêter, ce sera demain sans doute ! Deux rudes journées viennent de s’enfiler et celle de demain s’annonce longue, elle aussi. J’ai le dos vermoulu et les épaules en compote. Je vais tout essayer ce soir : les huiles essentielles de Marc et la pommade de ma pharmacie perso. Ce n’est pas encore ce soir que j’ai l’envie de décrire en détail tous ces paysages fabuleux qui nous voient passer. Demain… ça s’accumule avec ceux d’hier : marches sous la pluie, les criques marines… à demain !
Vendredi 7 août 10h45 – Kangerluk
Encore une journée casse-dos mais le temps se remet petit à petit au beau. Pourtant, un vent terrible et froid nous a pris de face toute la journée. Dernière partie sur la grève « plastique » de Kangerluk. Ah ces bords de mer parsemés de bout de nylon, de bouteilles et de tessons en plastiques : des traces d’activités laborieuses sans aucun souci de ce qui est visible… pourquoi ? Pourquoi une partie du monde s’offusque de cet état et pas l’autre ?
Trois longues journées de marche viennent de se suivre. Le dos réclame de plus en plus. Demain, nous avons deux rendez-vous : à 9h pour l’ouverture de la boutique et 11h avec un pêcheur qui va nous emmener de l’autre côté du fjord, comme pour un nouveau départ… encore deux jours pour rallier Qeqertarsuak ! Ca va être dur de se remettre dans le bain après cet intermède de Kangerluk.
Samedi 8 août 17h25 – Camp 9
Traversée du fjord à 11h, comme prévu et nouvelle dépose avec le bras levé du groenlandais qui, dos tourné, met les gaz et s’éloigne dans un sillage miroitant.
On a vu Kangerluk s’éloigner entre mer et ciel, petites maisons posées en ombres chinoises sur un ciel de traîne où de grands lambeaux de pluie tombent en grises draperies sur la mer. Des sommets saupoudrés de neige fraîche disloquent des masses nuageuses grises qui vont s’effilochant au loin pour composer un paysage de fjord à jamais inscrit dans ma mémoire. De la crique où la barque nous a déposés, on se tape une petite montée de deux heures jusqu’à l’établissement du camp 9, vers 15h. C’est un balcon perché en haut d’une cascade qui gronde entre des piliers d’orgues basaltiques qui se teintent d’orange sous le soleil bas sur l’horizon.
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Retour en arrière : Mercredi 5 août
Le canyon de la Vallée des Fleurs qu’on aurait pu rebaptiser Canyon des Fleurs de basalte… En strates, en jaillissements, en bouquets, en colonnes, le basalte régnait en maître sur les flancs d’un canyon taillé à l’emporte pièce par un torrent tempêtueux qu’il a bien fallu traverser au moment où il est venu nous barrer la route et s’engouffrer sous un glacier chaotique. Ce fut une traversée au-dessus des embruns par un petit pas d’escalade équipé de main de maître par Bernard.
La suite… sur un tapis de cristaux récemment mis au jour par le glacier dont on longeait le flanc gauche. Qu’on longeait !... comme s’il s’agissait d’un vulgaire pâté de maisons ! Muraille tantôt noire et chaotique, ou gris-bleuté et monolithe d’où tombaient des cascatelles d’eau et de dentelles d’une dizaine de mètres de haut. Tout ça pour dire que c’est plutôt lui qui nous longeait… nous, on était petits et émerveillés, assurant maladroitement nos pas dans un environnement si récent, si actuel, si puissant que jamais l’idée de nous imposer ne nous serait venue. Couler, il faut couler dans ces cas là ! Couler « like a snake », tirer chapeau bas, s’excuser de déranger et mettre les bouts !
Cette gorge aux mille cristaux s’est terminée brutalement à la gueule du glacier qui vomissait des bouillons d’eau brune par une bouche sombre et grondante d’où sortaient parfois, en s’entrechoquant, des blocs de glace et des vagues de crues qui balayaient en aval des champs de galets de glace échoués sur un fond de vallée de presque 4 km de large. Spectacle de titans qui nous a hypnotisés un bon bout de temps. Moi, je marchais un peu zombie avec un mal de dos naissant qui n’allait plus me quitter et que je traîne encore aujourd’hui dès que je porte le sac plus d’une demi-heure. Les journées qui ont suivi ce mercredi furent des journées de 8h de portage dans des conditions météo épouvantables !
Retour en arrière : Jeudi 6 août Marche sous la pluie… Ce fut une journée sous le signe de l’eau. On a baigné dans un brouillard épais et terriblement mouillant. Nos pas ont suivi le plus possible le bord de mer avec les premiers déchets plastiques et marins. L’eau brune et laiteuse du fjord filait sous le brouillard qui nous laissait entrevoir des îlots, des parois noires d’où dévalaient des lanières de brume blanche. Les criques de conglomérats ruiniformes recélaient d’étranges cristaux verts.
La marche se fait mécanique. Bientôt, la seule ligne d’horizon visible ce sont les gouttes qui perlent sous la capuche de la parka. Les yeux vont de ces gouttes aux pieds et des pieds aux gouttes… on marche chacun pour soi, étonné quelque fois de se voir à plusieurs centaines de mètres des autres : les trajectoires se font personnelles, divergent, se recoupent... L’humidité ambiante, la bruine qui tombe, les pieds trempés de quelques torrents franchis à la hâte et sans fioritures… tout contribue à imbiber les vêtements qui se transforment en chape pesante et froide. Le mal de dos en cerise sur le gâteau… Question ambiance, on est servi. Mais le corps en mouvement procure une chaleur essentielle et la pluie n’est pas si froide que ça quand on marche… mais gare à ne pas trop prolonger les pauses…
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