Le SPI 18

 

 

24 février, un vent froid venu de la mer rabat au sol la vapeur qui s’échappe du puits, en pulsations régulières. Dense et chaude, elle s’irise au contact des rayons du soleil, transformant l’orifice du puits en une bouche de brouillard nourrissant mousses et lichens qui ne manqueront pas de rendre très glissants les premiers mètres de la descente. Mais cette vapeur laisse à penser également que le puits communique avec les galeries de la CFML situées plus de 100 mètres en contrebas… et c’est cette idée qui nous habite, ce matin : une traversée est possible !

 


Une vapeur chaude s'échappe du SPI 18

 

Peu de rochers en surface pour fixer les premiers spits d’amarrage et c’est à plus de 5 mètres du puits que le lapiaz nous offrira une de ses arêtes affleurant parmi la végétation rase du plateau. Une paire de coups de pieds pour tester sa solidité et le perfo va aisément percer les marbres supérieurs. Placer les deux chevilles, visser les plaquettes, les gestes se font précis et la longue corde encore lovée dans le kit va pouvoir se trouver un premier point d’attache rassurant.

 

 

La sonde déroulée dans le puits affiche une profondeur de 101,50 mètres... c’est le plus profond exploré à ce jour sur le secteur de Spitharopoussi. Le muret qui protège les abords est soigneusement démonté pour nous ouvrir un passage sécurisé. Les quelques pierres qui jonchent la margelle sont déblayées, certaines tombent dans le puits en vrombissant et le bruit de leurs impacts sur les parois semble durer une éternité. L’orifice, taillé dans le marbre pur, est un rectangle de 1,80m sur 1,30m. Il gardera ces dimensions jusqu’au plus profond du plateau. Une œuvre d’art, un travail titanesque pour aller extraire le plomb argentifère dans les amas minéralisés au contact des marbres et des schistes.

 

 

La chaude moiteur de la vapeur nous enveloppe dès le début de la descente. A 50 cm sous la margelle, le perfo tourne à nouveau à plein régime. Sa mèche s’enfonce dans la paroi en y extrayant une poussière blanche qui vient se déposer dans les aspérités laissées par les traces d’outils des perceurs de puits du IVème siècle avant JC… Acte sacrilège, indispensable pour la suite de l’exploration, ce geste n’est pas anodin : percer cette paroi vieille de 2400 ans ne laisse pas indifférent.

 


La vapeur rend les parois glissantes.

Les parois sont humides et glissantes. Et, dès le début de la descente, apparaissent les premières encoches. La série est spectaculaire. Encoches verticales sur les deux longueurs du rectangle que dessine le puits et obliques sur la largeur. On imagine aisément les volées de marches en bois qui permettaient aux mineurs de descendre. Les marches prenaient appui sur la paroi et, sans doute, sur un cuvelage dont il ne reste que les encoches verticales. Régulièrement, les marches changent de direction et, dans les profondeurs du puits, elles accrochent la lumière du jour en dessinant une frise pour disparaître, plus bas encore, dans l’obscurité.

 


Série d'encoches, traces des marches en bois qui équipaient le puits.

Ce ne sont pas les seuls témoignages que nous ont laissés les mineurs. Les traces du creusement sont également visibles. Sur les quatre parois, les empreintes de leurs outils dessinent des arcs de cercle allant d’un angle à l’autre du puits. Mis en évidence par la lumière rasante tombant du haut et par le faible éclairage de nos lampes électriques, ces arcs de cercle se rejoignent dans chaque coin pour dessiner une dentelle minérale accentuant l’esthétique du puits. Mais était-il question d’esthétique à l’époque où chaque coup de pointerolle ne permettait de gagner que quelques centimètres (1 an pour forer ce puits de 100m, d’après Conophagos) ?

 

 

A 6m de profondeur, dans un angle, une lucarne a été percée (30cm de haut pour 20cm de large). Elle donne accès à une galerie horizontale de 68cm de haut pour 45cm de large qui, de toute évidence, n’a pas été creusée à partir du SPI 18. Elle prend la direction du SPI 19 situé, en surface, à 12 mètres de distance. S’agit-il d’une galerie d’aérage comme celle des célèbres « puits jumeaux ».

 

 

La descente se poursuit lentement. La sonde restée en place permet de se rendre compte de la profondeur atteinte. A -22m, une coulée stalagmitique prend naissance dans un angle du puits pour en occuper rapidement au moins 1/4 de la section. Vue de dessous, cette coulée prend l’apparence d’un arc boutant de 25m de long, venu consolider l’ensemble. Nul besoin pourtant de consolidation tant le puits est taillé à l’emporte pièce dans le marbre massif du Laurion. Aucune aspérité, aucune margelle, aucun repère le long de la descente, si ce n’est le morceau de ciel qui se détache au-dessus de nos têtes en devenant de plus en plus petit. -40m, -50m, -60m, la corde fait des yoyos de plus en plus longs à chaque halte. Le puits pivote sur lui-même, comme tordu par une force invisible. Ce profil « twisté » est fréquent dans la majorité des puits du Laurion et la cause de ce phénomène demeure inexpliquée.

 

 

-71m : une niche comblée de stériles marque la fin des marbres supérieurs et le début des schistes. Aucune minéralisation n’y a sans doute été trouvée par les mineurs qui se sont contentés de faire une rapide recherche demeurée vaine. La descente s’est effectuée, jusqu’à présent, parmi la couleur jaune et chaude du marbre. C’est à présent le sombre des schistes qui nous environne et l’ambiance change du tout au tout. Le schiste veiné de quartz blanc rend le puits plus austère. Le carré de ciel est toujours bien visible et la voix de ceux restés en surface nous parvient inaudible tant elle est déformée par l’écho.

 

 

Attentif au bon déroulement de la corde qui se délove régulièrement du kit accroché au baudrier, le regard est attiré, quelques mètres plus bas, par une brutale rupture de la verticalité du puits. A -80m, de multiples encoches dessinent sur les parois un énigmatique schéma, témoin d’une zone de travail important. Sur trois côtés, des niches ont été creusées. Deux d’entre elles semblent être obstruées par un des blocs empilés. Au fond de la troisième, plus profonde, on devine le départ de deux galeries… A voir en remontant.

-88m : Les schistes disparaissent pour laisser la place aux marbres inférieurs. La limite est nette. A cet endroit, s’ouvrent deux départs de galerie. La première dégagée au contact, est longue de 1,33m, pour une hauteur de 0,80m et une largeur de 0,50m. L’autre, entièrement taillée dans les schistes, repose sur les marbres. Elle est longue de 5,13m pour une hauteur de 0,92m et une largeur 0,52m. Toutes les deux se terminent sur un front de taille abandonné faute d’y avoir trouvé le minerai convoité.

Deux mètres plus bas, une nouvelle galerie (0,60X0,60) taillée dans les marbres se prolonge sur une quinzaine de mètres pour terminer sur un remplissage de terre noire et des ossements de petits mammifères. Où mène-t-elle ? Une désobstruction trop rapide risquerait de faire disparaître à tout jamais de précieuses indications pour de futurs archéologues. Nous n’en saurons pas plus.

 

 

-101,50m : le fond est atteint. L’extrémité métallique de la sonde brille sous la lumière de nos leds. Quelques branches mortes tombées de la surface, quelques pierres, mais rien ne permet de penser que le fond actuel est le fond d’origine. La roche est humide et froide. Les sections du puits (1,68 sur 1,43) sont quasiment les mêmes qu’au sommet et le regard qui s’échappe vers le haut « twiste » en même temps que les parois du puits.

 


- 101,50m, le fond est atteint !