Maniitsoq - Aujasoq 16 juillet au 17 aout 1999
Samedi 31 juillet. 20h 50. Camp 4 (850m) 911mb. On a décidé de prolonger notre séjour sur le plateau d’AUJASOQ. Donc nécessité de redescendre chercher 4 jours de bouffe supplémentaire dans la cache du camp 2.
Mais bien sûr, ça veut dire descendre et remonter ce col... (c’est la troisième fois) avec une neige un peu plus dure qu’au début. Après cinq jours de temps exceptionnels (soleil et chaleur), le ciel se couvre et le vent fraîchit. On se prend des caillantes à lire dehors...
Dimanche 1er août. Camp 4 17h. Il fait soleil mais il faut s’abriter du vent.
Belle course au 1721, le pic qu’on voit depuis Tasersuaq et qui domine le col d’AUJASOQ.
On a trouvé au sommet une boite en fer avec un message daté de 1965 et rédigé par l’expédition d’une université écossaise. Ils ont baptisé ce sommet « Arlequin ». University of St Andrews Course essentiellement en neige avec une arête rocheuse. La pente de neige, dure sous le sommet, est un peu trop raide à mon goût. J ’ai fait une partie de la descente à reculons, ça soulage la tête... Du sommet, on a eu un bel aperçu des camps 1 et 2 ainsi que de la vallée du lac de Tasersuaq. On n’a pas trop traîné, le vent était glacial, on chopait l’onglet en mangeant.
Mardi 3 août. 12h 20. C4. Bloqué par la tempête au col d’AUJASOQ.
Deux jours et une nuit déjà qu’il n’y a aucun changement de rythme ni dans les bourrasques ni dans les rideaux de pluie qui fouettent la tente. A part les fringues qui s’imbibent, notre bulle tient bien au vent depuis qu’on l’a arrimée avec les piolets plantés jusqu’à la garde... Mais le temps est long, la nuit a mis une éternité à passer et cet après-midi s’annonce aussi long. J’en suis à regretter les moustiques...
La bulle résonne sous la pluie, se gonfle, claque et faseye à chaque bourrasque. Somnolence est notre maîtresse, somnolence dans le sac en évitant les bords et les extrémités de la tente qui sont trempés, les positions qui ankylosent (aïe les hanches...). Lire un peu aussi mais la position n’est pas bonne, alors un peu de mots croisés mais on attrape froid alors retour à la somnolence dans le sac, le temps de se réchauffer ou pour un petit cycle de sommeil avec un peu de chance... ah qu’elle est dure la vie du randonneur dans la tempête !
20 heures. Toujours le même bruit et la même ambiance. (36 heures que ça dure...). Il a fallu encore déplacer la tente, l’eau ruisselant sur la toile creuse des canyons, des gouffres, un vrai lapiaz tout autour de nous.
Il faudrait que ça cesse. J’ai du mal à apprécier « 100 ans de solitude ». Il fait trop froid et j’ai du mal à faire l’effort de concentration nécessaire pour rester sourd au bruit incessant de la pluie et du vent et à trouver une position à peu près confortable.
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Jeudi 5 août. 17h. Camp 2. 999 mb. Il fait super bon au soleil (19° dehors), un petit vent frais qu’il suffit de regarder en face pour être débarrassé des mouchettes et moustiques. On est de retour au camp 2... Le ciel est bleu profond, quelques épilobes commencent à fleurir par ci par là dans les creux de la moraine et au bord du torrent qui coule en contrebas de la tente. Ce matin on a brûlé les poubelles de 15 jours et on a fait du pain à midi. Je déguste avec plaisir « 100 ans de solitude » et je viens de terminer un thé à la menthe. En aval, on voit quelques pentes vertes et quelques plants de bouleaux nains essayant tant bien que mal de coloniser cette moraine. Et pourtant hier... quelle journée !! La météo avait mis un certain temps à se stabiliser, gris, des nuages bas, des montées épisodiques de brouillard du fond de la vallée mais il ne pleuvait plus et le vent était tombé. Il fallait quitter notre col ce soir où attendre demain une hypothétique amélioration mais dans le cas contraire on était plutôt mal... On décide donc de partir et on lève le camp vers 16h, une grande partie des affaires ayant plus ou moins séchée avant de partir. Après tout ce n’est pas loin, c’est juste en bas du col...
Et puis voilà, un pas qui décroche, la glissade sur le dos, très rapide tout de suite. Le sac qui me fait tourner sur la droite, sur la gauche et le piolet qui ne mord pas. Un cri « Bernard !», une silhouette qui vient perpendiculaire à ma trajectoire : image précise et comme figée dans un jaillissement de neige. Un autre cri « Tes pieds ! ». Ca file à toute vitesse, Je n’ai d’yeux que pour la barre de rochers vers laquelle je plonge à toute vitesse. C ’est une mince barre noire dans un éclaboussement blanc. Je m’attends à un choc violent qui n’a pas vraiment eu lieu. A la place, une tornade où se mêlent du ciel, du rocher, des choses noires, du ciel, du rocher, des jaillissements de lumière. Je me sens girouette rebondissante et une pensée, une seule, prononcée mentalement sans précipitation ni crainte « c’est fini. » Vision éclair d’une terrasse. Nouvelle pensée « là, il faut que je m’arrête ! ». Se retrouver tout chamboulé, ne faisant qu’un seul et même paquet avec mon sac, tout tassé sur une terrasse de 2 mètres de large... se regarder ahuri, faisant bouger un à un les jambes, les bras, passant et repassant les mains sur le visage s’attendant à les retrouver sanguinolentes. Tout marche, tout bouge si ce n’est que je suis ligoté par les bretelles et la ceinture du sac. Un cri « Bernard ! ça va ! Premier arrivé ! » Et retourner m’ausculter en n’arrêtant pas de dire « putain c’est pas vrai, j’ai rien... putain c’est pas vrai, j’ai rien... » Retour vaille que vaille au camp 2 et ce fut la plus belle soirée de cette année, la conscience tranquille, léger, euphorique, mais mal partout...
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